SPOERRI, Daniel, ( Daniel Isaac Feintein, dit )
né en 1930 à Galati, Roumanie ; 1942, émigre en Suisse auprès de son oncle Théophile Spoerri, psychiatre ; 1954-1957, premier danseur à l'Opéra de Berne, et metteur en scène en Allemagne ; 1959, commence la création artistique par le MAT*; naturalisé suisse ; 1960, s'installe à Paris ; amitié avec Duchamp* et Tinguely* et adhère au groupe des Nouveaux réalistes*; enseigne à Cologne ; 1993, grand prix national de sculpture : vit à Seggiano, Florence.
Type(s) : Collectionneur - Ecole
Technique(s) : Sculpteur
Présentation : L'emploi de la troisième dimension devrait faire de lui un sculpteur, mais il intitule lui-même ses oeuvres "tableaux". D'autres, d'ailleurs, usent de cette troisième dimension, sans qu'on leur conteste la qualité de peintre : Schwitters* en travaillant plus dans l'épaisseur que dans la hauteur, John* ou Rauschenberg* qui, sur une surface plane, accrochent des objets.
Est-ce pour dévaloriser l'oeuvre d'art par sa multiplication banale, est-ce pour valoriser la banalité en la donnant à voir? Quoi qu'il en soit, pour ce faire, il invente cette variation du pop* que sont les "tableaux-pièges", c'est-à-dire ceux où les objets se sont laissés capturer dans leur vie banale ; il saisit un endroit, le plus souvent une table telle qu'elle a été abandonnée après un repas, et fixe les objets tels qu'ils s'y trouvent, au hasard du désordre ou de leur désintégration : mégots, coquilles d'oeuf vidées, croûtons, etc.; les pieds de la table sont enlevés et le tout est pendu après qu'il dise, en 1960 : "Je te baptise tableau" : Lieu de repos de la famille Delbeck, (1960), ou Table, (1961, LMK), Marché aux puces, Hommage à Giacometti, (1961, MNAM), Collection d'épices, (1963, MMS), Palette Conrad Fischer-Lueg, (1968, BvB). Il donne licence à des quidam voire à des enfants de fabriquer des tableaux-pièges qu'il signe ; ainsi de Mon petit déjeuner, (1972). Comme ces tableaux sont pendus, il y a un déplacement de la vision des objets que l'on regarde pour la première fois de haut en bas et non plus frontalement. De là aux installations*, il n'y a qu'un pas, franchi avec Espace basculé, Dylaby, 47° au dessus, renversé à 90°, (1962, SMA, reproduit pour Les Nouveaux réalistes, (2007, Grand palais, Paris), un mur devient sol parquetté, dur lequel les objets sont présentés comme dominant un spectateur couché sur le sol devenu mur latéral, tandis qu'un troisième mur joue le rôle de plafond recouvert de miroirs. Triple multiplication d'art, (1969, Musée contemporain, Dunkerque) une construction carrée, séparée en son milieu par une glace sur laquelle sont posés différents objets avec, leurs correspondants inversés collés sous la glace et reflétés dans un miroir de base, ou Hommage au jardin d'hiver de la baronne de Rothschild, (1972, MAMAC), ensemble de tables à thé désordonnées et sales comme dans un HLM. Cela, c'est la première étape, qui dure jusque Chaise de bébé, (1982), replie de chaussures. ; il veut donner à voir la banalité des jours et pratique une sorte d'arrêt sur objet dans une assomption de la casse et de la crasse.
Cette période s'accompagne d'interventions* comme l'enterrement d'un tableau-table intitulé Le Déjeuner sous l'herbe (1983), dans le parc du Montcel à Jouy-en-Josas, et solennellement déterré en 2010. Une oeuvre précoce et singulière, Vue cubiste de la chambre nº 13 de l'hôtel Carcassonne, (1961, KSo) ; il s'agit du découpage de plusieurs épreuves d'un cliché d'une même pièce qui, réajustées en séquences, donnent une impression cubiste* de la réalité, Vue cubiste, chambre nº 13, hôtel Carcassonne, rue Mouffetard, (1995).
Hockney* reprend ce procédé en 1984. Il est l'auteur de palindromes, le plus souvent en allemand, sur plaques émaillées de rues, Oh cet écho, (1968). Une autre manière de traiter les objets, c'est de les collectionner, comme Arman*, mais de manière moins élaborée, plus négligemment; ce sont de vieux ustensiles de cuisine, des couteaux à éplucher, réhabilités en quelque sorte, ou une grande variété de couteaux de bouchers, L'homme est un nécrophage, (1970-1971, BvB) ; la tabla telle que le repas fini la laisse, Saint -Jeannet, (1975).
C'est ici que l'on glisse vers un troisième emploi de l'objet avec, cette fois, le libre cours donné à l'imaginaire : lorsqu'il fixe sur un paysage de montagne peint au XIXe siècle un mélangeur et une pomme de douche censés drainer les torrents, La Douche, (1961, MNAM), c'est spirituel ; Le Général, (1962) et, pour faire la paire, La Pieuse Générale, (1963, MMKW), portraits du XIXe surchargés d'accessoires grotesques. Jusqu'en 1988, il reprend les carpettes figuratives que l'on voit décorer les intérieurs modestes, en les repeignant et les surchargeant d'objets; c'est Le Trésor des pauvres, (1985-1988), un bébé de Celluloïd devant une famille de lions, La Sainte Famille, (1986, FNAC), des bols et des assiettes de plastique sur La Cène de Vinci. C'est le triomphe du kitsch s'insinuant dans une curiosité pour le cultuel. De même, sa série Lépreux d'Islande, (1989-1993), où il fixe, sur une gravure de malades du XIXe siècle, des objets ayant un rapport formel ou essentiel.,
Protestation contre le sublime en art, proclamation de la mort de l'art, et en même temps, dérision de la démonstration d'une nouvelle esthétique. En 1994, il montre des collages qui sont d'une étonnante sobriété en face des surcharges des oeuvres antérieures : sur une planche anatomique, un objet ou deux viennent la détourner, comme ce crocodile de plastique qui pénètre un vagin entrouvert par des doigts médicaux. La Médecine opératoire, (1993, 1994).
Il se dprend de l'encombrement, montrant sur une toile grège des reproductions des physiognomonies de Le Brun, le trophée de l'animal correspondant et un objet par association, un manteau de fourrure pour un renard, un saucisson pour le cochon, (1996). Il réussit à alléger ses toiles, à les faire paraître vides pour la raison que chaque figure ou objet est isolé. Ayant axé l'essentiel de son travil sur la manducation, voire la bouffe, il se déclare inventeur de l'Etat Art*. Auteur d'événements*, il fixe en tableaux-pièges les reliefs des repas organisés du 30 avril au 2 juin 2002 à la Galerie nationale du Jeu de Paume, à Paris, écho à L'UltimaCena, (19 novembre 1970) de Milan, banquet qui aurait clôturé les manifestations des Nouveaux réalistes. Il est aussi sculpteur, au sens plein du mot, notamment de 1986 à 2000, Prototype du nombril du monde, (1989-2000), dent de narval montée,et ciselée d'argent.
Expositions : 1961, 1965, Schwarz Milan (P) ; 1962, Lawrence, Paris, (P) ; 1995, 1966, Yvon Lambert, Paris, (P).
Rétrospective : 1972, FNAC, Paris ; 1990, Musée national d'art moderne, Paris.
Citation(s) : Il a dit :
- L'homme est un nécrophage.-Tout peut être un tableau-piège; n'importe qui peut choisir un arrangement fortuit dû au hasard et faire un tableau-piège, un certificat de garantie fut imprimé à cette fin.